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Gouverner, c’est prévoir !

Reprocher à qui que ce soit de n’avoir pas prévu la crise sanitaire est une idée tellement saugrenue qu’elle ne nous a même pas effleuré l’esprit. En revanche, on ne peut pas dire que notre université n’ait pas une longue expérience de ces périodes d’auto-confinement que d’aucuns appellent blocages… Dans ces conditions, assurer une certaine forme de continuité pédagogique ne paraît pas totalement infondé, pour ne pas dire hautement profitable à la grande majorité de nos étudiantes et étudiants.

En 2015, l’ancienne gouvernance avait créé un Service pour l’Innovation Pédagogique et les Usages du Numérique (SIPUN) dont les missions étaient d’assister la communauté universitaire à réfléchir et à progresser dans des domaines dont chacun mesure bien aujourd’hui l’importance et les enjeux. Ceux qui s’intéressent à l’histoire de notre établissement pourront se reporter aux documents sur l’intranet qui retracent la genèse de ce projet. Enfin, dans un monde idéal, ils pourraient s’y reporter car, en l’espèce, la recherche sur le mot « SIPUN » produit un silence assourdissant :

Il est quand même un peu ennuyeux qu’une université qui se targue d’être spécialisée en SHS gomme ainsi tout un pan de son histoire…

Mais revenons au SIPUN : composé d’enseignants-chercheurs et d’ingénieurs, ce service avait commencé à fonctionner et à proposer de multiples pistes de travail pour que notre communauté s’empare de sujets de réflexion qui ont un impact direct sur la manière dont nous enseignons. Son rapport d’activité (bien entendu introuvable sur l’intranet), écrit après six mois de fonctionnement, proposait toute une série d’actions dont on se rend bien compte actuellement combien leur aboutissement aurait été déterminant pour assurer correctement nos missions d’enseignement pendant la crise sanitaire. On est par conséquent légitimement fondé à s’interroger sur la pertinence du démantèlement d’un tel service. Quelle urgence y avait-il à vouloir vider de sa substance le SIPUN et à le débaptiser ? On se demande vraiment ce qui est passé par la tête des démolisseurs (une recherche sur l’intranet pour tenter de comprendre les motivations qui auraient pu être avancées en CA est tout aussi infructueuse). Et nous n’évoquerons même pas la question du sort réservé aux personnels dont on ne peut pas vraiment dire qu’ils aient été traités avec une grande aménité.

Si la destruction du SIPUN était à l’évidence une erreur stratégique dont on a malheureusement pu constater les effets néfastes dans l’impréparation des scénarios pédagogiques alternatifs lors du confinement, elle marque surtout le désintérêt de la gouvernance actuelle pour les questions de pédagogie et un certain dilettantisme dans la gestion des problèmes relatifs au numérique. Les choses avaient pourtant bien commencé : en janvier 2017, l’établissement se dote d’une Commission numérique qui doit se réunir deux fois par an. Deux réunions furent tenues en 2017, puis deux en 2018. On trouve sur l’intranet la trace de quelques documents, mais cette commission ne publie aucun compte rendu de ses travaux. En 2019, il n’y eut qu’une seule réunion (le 18 juin, et sur l’intranet on n’a droit qu’aux trois points de l’ordre du jour) puis en 2020, une réunion a eu lieu le 15 octobre. On se demande d’ailleurs qui a bien pu initier cette réunion car la commission est censée se réunir sur convocation de son président qui est le Vice-président en charge des ressources numériques, démissionnaire le 31 août… Là encore, on n’a droit sur l’intranet qu’à l’énoncé de l’unique point de l’ordre du jour.

Honnêtement, tout cela n’est pas très sérieux et les questions numériques méritent d’être traitées avec un minimum de rigueur. Si la quasi-totalité des enseignants d’informatique de l’établissement se sont ralliés à la liste Changer, ce n’est peut-être pas tout à fait un hasard. Pour autant, nous n’avons pas une vision techniciste des questions numériques et nous sommes très éloignés d’une conception empreinte d’une technolâtrie béate.

Nous nous posons des questions sur l’emploi des nouvelles technologies dans l’éducation et dans la société. Nous nous demandons quel impact ont nos outils numériques sur le réchauffement climatique et quelles solutions techniques sont les plus frugales pour la planète. Nous nous interrogeons sur la pertinence des enseignements de TIC tels qu’ils sont conçus actuellement. Nous pensons que le concept de digital native nous a induits en erreur et qu’il y a lieu d’enseigner à nos étudiants une pensée critique sur l’usage des outils informatiques (combien d’étudiants employant une adresse Gmail ne savent pas que leurs courriels sont lus par Google ?). Nous estimons que les questions numériques revêtent une telle importance pour notre université qu’il convient de lancer un vaste chantier pour décider collégialement là où nous voulons aller. Il ne s’agit pas de faire un énième groupe de travail ni de réaliser une enquête bâclée pour entériner une décision déjà prise, mais de s’atteler à une réflexion collective où chacun pourra faire entendre sa voix. Ce travail sera long, mais nous avons la certitude que le numérique n’est pas la chose des informaticiens et, partant, que les décisions que prendra l’établissement en la matière doivent être le fruit d’une longue concertation impliquant l’ensemble de notre communauté.

Le basculement de l’ensemble de nos activités d’enseignement en ligne a mis en évidence le fait qu’un certain nombre d’étudiants n’étaient pas suffisamment bien équipés pour bénéficier d’un enseignement à distance. Cette question est effectivement capitale et aurait mérité que l’on s’y intéresse un peu plus tôt, car elle était déjà prégnante avant le confinement, même si les ordinateurs en libre accès à la disposition des étudiants étaient susceptibles d’atténuer les effets de leur sous-équipement. Comme rien n’avait été prévu, il a fallu imaginer dans la précipitation des solutions pour fournir des machines aux étudiants en situation précaire. Si la distribution d’argent aux étudiants défavorisés part d’un bon sentiment, cette mesure a deux défauts rédhibitoires : elle coûte cher à l’établissement et elle se révèle inefficace en l’absence d’un plan sérieux d’accompagnement de ces étudiants. Il faut en effet être d’une naïveté confondante pour ne pas imaginer que les étudiants qui n’ont pas les moyens d’acquérir du matériel informatique sauront rapidement s’en servir correctement. Il est plus que regrettable que l’université n’ait pas intégré ce paramètre, privant ainsi sa politique d’une part importante de son efficacité concrète.

La liste Changer a élaboré un projet de résorption totale de la fracture numérique des étudiants qui associe la fourniture d’un ordinateur complet à 150 euros ainsi qu’un module de 10 heures de formation dispensée par des étudiants. Ce projet pédagogique, basé sur des solutions composées de logiciels libres, ouvre la voie à une autre conception de l’informatique marchande car nous pensons que c’est notre rôle d’émanciper les esprits et de proposer aux étudiants une réflexion éthique et politique sur l’usage des nouvelles technologies dans la société.